Les Ravages du Soleil de Minuit





Les ravages du soleil de minuit

La base étant installée légèrement au sud du cercle polaire Antarctique, cela a des incidences comme chacun l’imagine sur la durée du jour et de la nuit. En ce moment, c’est l’été austral et la clarté du jour est permanente. Je vais donc tenter de répondre entre autres à une question que m’a posée Solenn, ma fille cadette : « pendant combien de temps le soleil ne se lève pas sur la base Dumont d’urville ? »

Banquise au soleil couchant

La réponse n’est pas si simple, car plusieurs phénomènes interfèrent et de beaux dessins seraient plus souhaitables qu’un texte, mais sans internet, je suis fortement démuni !

Cela dépend d’abord de la saison. En été austral, le soleil a une position fortement méridionale et se situe au dessus du Tropique du Capricorne très exactement autour du 21 décembre qu’on appelle le solstice d’été (d’hiver dans l’hémisphère nord). Par le fait de la configuration sphérique de la Terre, plus on descend vers le sud et plus les journées sont longues pour devenir continues au-delà du cercle polaire car le soleil ne se couche plus, il passe « par-dessus » le pôle (c’est là qu’il faut un dessin). La hauteur minimale au dessus de l’horizon étant maximale au pôle et minimale sur le cercle polaire. A partir du moment du solstice d’été, le soleil va reprendre immédiatement sa course vers le nord jusqu’à sa position septentrionale extrême qu’il atteindra au solstice d’hiver, autour du 21 juin (solstice d’été pour l’hémisphère boréal). Là, c’est l’inverse, c’est la nuit polaire au-delà du cercle polaire, d’autant plus intense et longue que l’on va vers le sud.

Mais au niveau du cercle polaire où nous sommes, les choses se compliquent un peu par effet « de bord ». D’abord l’été, le soleil déclinant vers notre sud, il passe dans sa position la plus basse derrière le continent Antarctique. Or ce dernier qui est à quelques kilomètres de l’île des Pétrels où nous sommes est une calotte glaciaire très épaisse qui monte depuis la cote très rapidement à une altitude voisine de 3000 mètres en Terre Adélie : le soleil est alors masqué pendant son passage bas sur l’horizon, durant une petite heure par la calotte glaciaire. Ce phénomène étant partiellement compensé par la réfraction des rayons solaires sur l’atmosphère qui fait que l’on voit tout de même une partie du disque solaire qui a géométriquement disparu grâce à la courbure des rayons lumineux. C’est ce phénomène de réfraction qui nous évite en hiver la nuit polaire, on arrive tout de même à voir une partie du disque solaire durant une petite heure au minimum par jour autour du solstice puis cette   durée augmente  progressivement.                                                                                                    
 

Mais pour l’heure, c’est le jour permanent, car même si le soleil disparaît pendant un petit moment chaque « nuit », le jour est toujours là et cela a des conséquences. Sur le paysage bien sur qui est féérique et sur la perception que l’on peut en avoir : voir des icebergs sur la banquise, partiellement éclairés en orange par un soleil rasant à 2 heures du matin, cela paraît encore irréel et même certains hivernants de l’équipe descendante se sont levés pour admirer le spectacle qui n’est jamais le même parait-il. J’en prends bonne note. Alors, les ravages où sont-ils me direz-vous ?

Et bien ils sont la conséquence de la perte complète de l’heure qu’il est et du temps qui passe. Encore, nous les météorologistes qui avons des tâches à accomplir à des heures très précises avons en permanence une horloge dans la tête. Mais d’autres sont nettement moins chrono-contingentés et laissent filer le temps pendant des soirées jamais associées à l’obscurité par exemple, ce qui les pousse à aller jusqu’au bout de la nuit. D’ailleurs dans notre inconscient collectif, le mot soirée est tellement indissociablement lié à cette obscurité que l’on a tendance à l’attendre pour aller se coucher. Le retour au dortoir pouvant se passer au soleil, le centre du temps dans le cerveau est quelque peu perdu et la mélatonine tarde à être synthétisée. Et puis, on a d’autres surprises. La première c’est de découvrir que les rideaux de notre chambre laissent filtrer quelques rayons troublants : régulièrement je me réveille en sursaut à 3-4 heures du matin en me disant que je dois être très en retard au boulot, car en effet, à cette heure là, le soleil est déjà pas mal remonté en site. J’ai donc essayé de dormir avec un masque du type de ceux que l’on distribue dans certains avions de ligne. Bof, pas terrible ! Mais bon, cela ne va pas durer, dans quelques petites semaines, monseigneur l’astre solaire ira lui aussi se coucher de plus en plus longtemps, nous ramenant un peu de normalité, si rare par ici. Allez, il est minuit, je vous quitte, je vais me fabriquer un peu de vitamine D dehors…au soleil !